vendredi 26 février 2010

Forgeron Poseidon

*
J'ai eu l'extrême privilège d'être reçu par une très grande famille de forgerons du peuple sumono au Mali. J'ai vu un mythe. Une chance.
*
En allant dans ce village, je ne m'attendais pas à trouver l'archétype de la forge familiale traditionnelle africaine. Et pourtant, comme des tambours, les marteaux m'ont appelé. Les courants inversés du Niger n'ont pu m'empêcher de trouver cette oasis divine. L'atelier est très grand, ce n'est pas une paillote. C'est un sanctuaire en terre aux façades ajourées ou délabrées en train de s'écrouler dans le Niger. Une forge hors du temps avec ses gros soufflets en peau de bique...
*
Baba, le chef de famille, trône et supervise le rythme furieux de cet atelier aux 4 forges, 8 enclumes que font rugir au moins douze personnes. De son regard bleu profond, presque aveugle d'un autre monde, il m'a montré le grand oeuvre: Un gigantesque harpon tout en ramifications quadruples répétées quatre fois, un arbre de fers en pointe, un sceptre divin forgé dans la même tige ornée de sublimes ciselages et cachant à l'autre pointe une dague propre à abattre un dragon. Il me montre aussi deux de ses lances sculptées dans l'acier, le cuivre et le bronze. Deux herses célestes où s'emboîtent on ne sait comment une multitude d'anneaux et sections gravées, évidées pour dépasser les deux mètres de long. Baba une grande chaleur qui vous salue et sait!
Aujourd'hui il n'a plus besoin de travailler...
*
Ensuite vient le grand frère Nogotou, un sorcier à la force tranquille qui prend littéralement le feu en main. Il forge des dabas, des haches qui sont de véritables oeuvres d'art. Ces haches sont faites avec des lames de suspension qui sont arrivées là on ne sait comment puisqu'il n'y pas de route. La lame d'acier est coupée au burin à chaud. Le marteau pour l'occasion n'est pas ordinaire: il est tout en métal et a la forme d'un grand P plein qui peut peser ses 3,5 kg. Sur la base de la hache, il forge une garde, un grand tour de force! Pour finir, il poinçonne son travail avec des motifs magiques qui restent comme une signature incantatoire !!!
*
Son frère Tonka, une force de la nature, travaille dans la masse, le soc de charrue avec des plaques de 100mm de large et 10 mm d'épaisseur. Plus personne ne fait ça sans pilon, mais lui y passera une demi journée et il en sort une lame parfaite pour la charrue classique à huit boeufs. Le matin il m'a montré avec beaucoup de patience comment faire un bon burin et le tremper. Tonka est très fier parce qu'à la saison des pluies où tout s'inonde, il travaille aux champs; ça lui permet de se défouler.
*
Trois gamins d'environ dix ans n'ont pas arrêté de la journée, actifs donc et bien lumineux aussi. Ils peuvent faire office de pilon à trois quand chacun tape peut-être plus fort à la masse que moi. Mais là où je leur fais la révérence, c'est qu'ils vont faire en une demi journée un festival de couteaux. De longues dagues sorties de fers plats de 40 par 12 aux lames gravées avec un manche en bois orné au feu!
*
Il y a aussi le cousin qui confectionne des couteaux en forme de lance embauchés sur un manche en bois. La pièce métallique comprend tous les tours technique de forges.
Et pour faire le tour de la famille, un petit séraphin qui se traine les roubignolles au milieu du charbon, sacré mascotte.
*
C'était un mardi, le jour de mars, le jour du fer, le jour où j'ai visité ma première mosquée en terre envahie de chauve-souris, le jour où j'ai vu des serpents volants formés par des nuées d'oiseaux regroupés dans le ciel qui vous disent que vous êtes très proche du divin...
*
Des signes, des écritures éternelles avec l'air et le feu!
Merci!
*

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire