vendredi 18 décembre 2009

La montagne de l'âme

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Un détour. Un hasard qui, depuis Azrou, vous mène vers Ain Leuh puis, en dépassant une magnifique forêt de cèdres centenaires, vers une montagne, le jbel Bou Iblane. Ce sont les semi-nomades les Beni M'Guilds qui m'ont emmené là-bas au coeur du Moyen Atlas.

C'est par un autre hasard, comme par magnétisme, que j'ai entrepris une longue errance à pied. Pour arriver, après un long chemin, à l'entrée d'une espèce de caverne. Oui comme un boyau qui perce le flanc du rocher. Y entrer: De nombreuses galeries interminables qui descendent puis ??? des escaliers qui plongent vertigineusement comme pour vous précipiter dans le vide, dans un puits.

Puis c'est la découverte de ma vie, quelque chose que je n'oublierai jamais. Une immense salle, une cathédrale du fond de l'ombre où sont rassemblés des dizaines d'hommes en prise avec l'art du feu?!? Comme si une guilde souterraine de forgerons était venu s'installer hors du temps - ni jour ni nuit - et loin de la lumière - le combat du feu et de l'obscurité.

Au fond, quoi de plus logique? En un seul endroit sont réunies l'extraction, la fusion et la forge. Dans l'obscurité la couleur du fer devient parfaite, pure, de son rouge naissant au blanc soudant...Les nombreux ruisseaux se conjuguent pour actionner des martinets gigantesques qui pétrissent des éponges de fer fraîchement coulées. Comme si la montagne concentrait son énergie et son esprit dans la réalisation du grand-oeuvre. Un rythme étrange, hypnotisant, que ce martelage incessant et sourd comme la roche qui concasse le minerai.

Je n'ai pas trouvé le courage de leur parler, de troubler le rythme infernal de ces fabricants de l'ombre. Quels sont les outils qui sortent de ces forges titanesques ? Quels sont les aciers sublimes qu'accouche cette montagne ? D'autres têtes et forets d'excavation qui leur frayent un chemin jusqu'au foyer suprême de notre Terre, l'Ultime Brasier des Forgerons ?

Là où brûle la réalité...


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jeudi 17 décembre 2009

Essaouira, le fer mangé

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Tout est mangé par la rouille ! On y peut rien, la brise océanique lessive la côte sans relâche.

Ici, à Essaouira, le fer est ravagé par une corrosion omniprésente. Ici ce n'est pas la société qui va mépriser le ferronnier, c'est la nature, sans pitié. C'est comme si il y avait une accélération du temps, une grille prend en une année sa bonne patine de 100 ans. Humidité, sel et vent les ingrédients idéals pour ruiner instantanément les oeuvres de l'art du fer !









Essaouira a, au nord, vers la plage de Safi son marché à la feraille. C'est un des marchés les plus sauvages que l'on puisse trouver: tout en brut, matériaux arrachés, un grand recyclage des choses les plus improbables. Beaucoup de planches d'acier à demi mangées, des portails, citernes défoncées, planches cabossées, barres nouées ... tout ce que vous voulez, mais non reconnaissable. C'est pour le bon oeil !

Mais comme toujours au Maroc on ne recule devant rien. Des ateliers on en trouve plusieurs, qui avec la bonne vieille technique rudimentaire, s'accommodent de tout. La majeure partie d'entre eux sont de petite taille et obligent les artisans à travailler dehors pour réaliser les grilles forgées. On cintre à froid, on travaille peu avec le feu. Le grand duel des éléments: la marée océanique ou la fournaise terrestre. Qui aura la dernière raison ?





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vendredi 4 décembre 2009

L'oeuvre ancestrale à froid

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Une technique basique, prenez une feuille de métal, un marteau et un burin. Après avoir dessiné ce que vous voulez faire sur cette pièce de métal, vous tranchez les motifs à froid avec le burin*. Une fois le contour terminé, vous emboutissez ou emportez la pièce qu'il faut détacher. Ainsi vous allégez votre oeuvre en l'ajourant de toutes parts. Par contre vous alourdissez votre travail en heures de ciselage, patience! C'est ainsi que se réalisent toutes les luminaires et appliques qui nous viennent du Maroc.

Si, au lieu de trancher ou percer le métal, vous ne faites que l'entailler, alors vous obtenez une planche prête à la réalisation d'une damasquinerie. Au préalable vous avez patiné votre acier en noir. Il s'agit ensuite de découper des fils d'argent et les incruster par martelage dans les fissures entaillées. Vous obtenez ainsi de magnifiques pièces en fer noir tissées de fils d'argent. Encore une fois : Patience!

C'est en voyant toute cette aptitude au chef d'oeuvre artisanal que l'on commence à entrevoir la dissolution du temps. Les heures ne comptent plus puisqu'elles sont miennes!
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(le burin est un petit instrument qui ressemble à un stylet en métal dont la pointe est un tranchant)

L'école des arts et métiers de Tétouan

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Une rencontre édifiante avec le Maalem forgeron Mohamed Kanchouf. Il est responsable de l'atelier de forge artistique qui a lui seul est un vrai petit musée. Il fait tout son possible pour enseigner les techniques de travail traditionnelles c'est à dire à la manière ancienne. Dans un atelier très ordonné et propre, les élèves sont donc confrontés directement à la matière avec un petit marteau et un burin. Ils apprennent à ciseler et découper les motifs classiques dans une feuille de métal. Tout au long d'un cursus de 4 ans on leur transmet la capacité de réaliser les beautés de la forge artistique marocaine.

Le maître est une personne pleine de passion et de patience, deux qualités qu'il essaye aussi d'enseigner. Il possède non seulement une très grande maîtrise de son art mais il domine un grand nombre de techniques différentes: travail de ciselage à froid, forge à chaud, techniques de chaudronnerie, damasquinerie avec incrustation d'argent, travail du laiton. Il a commençé dès le plus jeune age, a reçu un stricte enseignement de son père forgeron et n'a guère plus de 45 ans. Mais aujourd'hui il a la tranquillité de celui qui peut tout faire en fer. "Ce n'est pas l'âge qui compte, dit-il, il faut avoir ça dans le sang." Ou dans le coeur...
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mardi 1 décembre 2009

L'artisanat dans le Rif marrocain

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A Tétuan, la blanche colombe, l'art est très estimé. Le sens de l'esthétique presque partout présent dans l'esprit arabe y est exacerbé. On y trouve une des seules écoles des beaux-arts du Maroc me dit le professeur Hassan Echair, un artiste accompli. L'école d'artisanat montre dans son petit musée une grande finesse de travail sur le cuivre, le laiton, la damasquinerie, mais aussi le bois, les textiles ou enfin la bijouterie. Seulement voilà on a des goûts de luxe, on préfère parler de bronze plutôt que de laiton. C'est probablement l'héritage de plusieurs générations de pirates qui vinrent commercer sur les rivages de cette cote méditerranéenne. C'est là que l'on commence à privilégier le cèdre et le cuivre ou l'argent et délaisser le fer trop souvent considéré comme une "pacotille". C'est là que l'on retrouve cette grande attirance pour le clinquant, la richesse. Pas de symbole!




La forge artistique fait l'objet de désaffection, cela vaut une enquête pour comprendre pourquoi. Il s'agit bien évidemment d'un problème d'argent. Au risque de me répéter, le travail artistique du fer n'est pas valorisé et ses artisans non plus.
Nous voudrions aussi convaincre, contre toutes les idées reçues, qu'il existe dans la technique de forge une richesse intérieure pas forcemment apparente dans le résultat, comme une intention ou une charge... mais là on s'aventure. La réhabilitation du rôle du forgeron dans la société, c'est de ça qu'il s'agit, de reinsérer un peu de spiritualité. J'ai vu un ancien, oublié, assis à côté de son enclume endormie, prostré, qui semblait plus inactif qu'un volcan sahari! Figé dans le passé...
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lundi 30 novembre 2009

La Grande Fête Musulmane

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SAjouter une imageamedi 28 Octobre, C'est la grande fête religieuse de l'année. Aid-el-Kbir, la grande fête du mouton, mais ce serait beaucoup dire que les moutons ont fait la fête! Ils ont tous finis égorgés, décapités leurs cornes coupées à la hache, leur tête et leurs pieds brûlés puis soigneusement raclés, leur sang dégoulinant en petits ruisseaux dans les ruelles en pente du souk et leur peaux retournées, entassées, prêtes pour le marché. Ca ne sent pas la tripe, ça hume, ça fume le brûlé, le poil cramé. Les couleurs rouges et noires et des yeux sans corps qui ont fini de bêler. Les silence des agneaux ? Ici, on perrenise le rituel, il n'y a rien d'extraordinaire. Le traditionnel sourire n'est plus là, mais la tranquilité active que l'on trouve au Maroc. Après ce grand moment sacrificiel où se mélangeaient le charbon, le sang, la boue est venue une pluie violente cinglante comme envoyée pour laver la terre; la pluie ici, on la remerçie...Allah Agbar!

Pendant toute la semaine auparavant, j'ai donc pu voir tous ces ateliers de métal en pleine frénésie. Toute une activité pour préparer les haches, couteaux, piques, racloirs et brasiers. Cette collection d'outils qui vient s'insérer entre l'homme et l'animal pour réaliser le geste sacré. Les meules à affuter en pierre ne cessaient de tourner, tout un pays mobilisé à la préparation de cette grande fête religieuse. Toutes les familles ou presque sont là mais pourtant on garde une impression de vide peut être parce que tout est fermé. Quand le négoce s'arrête au Maroc tout semble étrange, inquiétant presque. Cette semaine tout est calme et fermé ce sera plus difficile de trouver des artisans en activité!

Dans la campagne, avec une famille ce serait une expérience vraiment forte; ne pas être un simple spectateur d'un massacre massif et un poil désincarné, que l'on voit en ville. Cet urbain qui présente toutes ses discordances avec la vie de société : mêmes les actes les plus fondamentaux perpétués sont victimes de l'individualisation. Le sacrifice est fait en famille bien sûr, non en communauté et pourtant ce devrait être une immense fête de réconciliation, mais non.

Une très forte impression sur les sens que cette célébration, comme une descente dans les souks où tout est couleurs, odeurs/parfums, rumeurs, saveurs et contacts. C'était comme un autre théatre sensoriel de l'Afrique et toute sa force! Des sacrifices, j'en fais beaucoup ces jours-ci sur ma petite vie tranquille et autres habitudes dilletantes! Renoncement qui forge et renforce.

lundi 23 novembre 2009

Le Passage à Meknes

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A Meknes, dite "ville de passage", j'ai bien failli continuer mon chemin et perdre un beau foyer!
Les premiers ateliers rencontrés ne se différenciaient pas beaucoup des nôtres. Il fallait persister; Dans ce quartier Bab Djedid, une rue entière de ferronniers.

Les ateliers sont tous là regroupés au même endroit depuis plusieurs générations. Le lieu est chargé. A l'entrée plusieurs artisans fabriquent des "braseros" pour cuire les brochettes lors de la fête du mouton idKBir. En avançant, on trouve les palissades typiques du Maroc d'un assez bon style. Vers le milieu de la rue, une très belle forge en briques réfractaires avec un artisan plutôt jeune. Il travaille tout seul sur des barres de 20 par 20 avec un marteau de 3 kg, sans forcer. Encore une fois les gestes sont précis, économes et justes. Il reproduit le même dessin au jugé. Une espèce de vitrine force l'admiration: une énorme serrure très travaillée avec sa clef d'un demi-mètre et ses ferrures. Destinés à un palace royal, on peut imaginer que la porte va faire 5 mètres de haut environ. on peut aussi voir un travail de martelage au burin sur des petites plaques en acier. C'est un façonnage délicat de feuilles ciselées. Un vrai travail à la main. A plusieurs endroits on voit des meules anciennes: De grosses roues en pierre ou argile. Tout en contraste avec les disqueuses hurlantes qui tournent tout alentour.
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jeudi 19 novembre 2009

La forge à Fez

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Fez est pleine d'activité artisanale. Le roi veut en faire une vitrine en inaugurant un centre des arts et métiers de l'artisanat. Cependant, cette ville mystérieuse ne se livre pas si facilement. Pour le travail du métal, elle contient tous les styles d'atelier : du plus rudimentaire jusqu'à la forge traditionnelle.

Commençons par une visite du souk au quartier bien populaire de Ben Slimane. Dans ce quartier il n’y a pas de place pour le forgeron. De nombreux ferrailleurs font le même business toujours comme en Espagne : récupération et vente à plus ou moins 10 ct le kg. Dans le même coin, les ateliers travaillent uniquement sur le recyclage avec un gros niveau de "débrouille". On trouve toujours des remplacements et la qualité du travail demandé n’a pas besoin du feu qui serait déjà une technique trop chère ? On est dans le rafistolage permanent avec aussi des boutiques qui ne font que souder !

Dans la vieille ville il reste peu d’ateliers traditionnels. Deux d’entre eux s’occupent des grilles en rosaces traditionnelles marocaines où tout est fait à la main avec la forge et des coups de marteaux très précis. Le maître a toujours une très forte personnalité, le contremaître est toujours un grand frappeur, comprenons un grand artisan qui a un minimum de 20 ans de métier. L’un d’eux est presque toujours au sol pour travailler, comme l’enclume qui repose à terre. Le métal est souvent recyclé et là on voit le travail de redressement, qui est la base du métier et occupe une bonne partie de la journée. Le travail est précis mais souvent fait au jugé comme le tranchage à chaud d’œillets sur une tige ! Toujours un minimum de coups de marteaux. Autrefois on formait des profils sur un fer plat, comme un moule qui renforce. Au Maroc on continue de faire de cette manière !

Juste au dessus de la ville moyenne, se trouve un forgeron ; il travaille dans un atelier assez réduit en taille, sur le trottoir et avec le sourire. Ce chef a eu un grand maître, qui aurait décoré la chambre du roi, et il lui a repris l’atelier. Un lit en fer forgé vient juste d’être fini et le travail est d’une grande précision avec un dessin classique d’une belle simplicité. J’ai aussi vu la réalisation d’une petite feuille ciselée au stylet sur le dessin collé sur une plaquette en acier (on voit le plus souvent ce travail sur cuivre, car beaucoup plus facile). Et la forge ? Pas de forge , ici on travaille au chalumeau. Un ami de l’atelier dit que ce travail du fer n’est pas assez valorisé soit par manque de budget, soit par manque d’intérêt. Cet atelier mélange l’acier avec le cuivre ou avec le bois selon les circonstances…tout est possible au Maroc.

Ce qui marque beaucoup à Fez c’est la rapidité à laquelle ils travaillent et c’est peut être ça qui fait une sélection. C’est la même chose dans tous les métiers du métal. Un artisan qui confectionne des plateaux en laiton met 10 mn. pour terminer la pièce, après 40 ans de métier ! C’est aussi la diversité. Sur une place de la médina il n’y a que des chaudronniers qui sortent des auges énormes faites à la main, au marteau en bois, au brasier, au pied, au tas en tronc creux ou sur enclume en forme d’ancre ! Une forge ancestrale, un sacré métier !
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Pourquoi aller en Afrique?

FEU

Qui est le forgeron ? C'est celui qui danse avec une tortue sur la tête ?

C'est celui qui donne par le feu. Il transforme. Il aide à transformer. Il choisit une autre vie, un autre cycle. Il réalise des passages. Il purifie par le feu. Il brûle le faux et faire vivre le vrai. Il se trouve entre la guerre et la paix. En flammes froides il chasse le veau lunaire et reçoit le dragon à l'oeil de feu !

L'Afrique, un des premiers endroits ou l'humanité travaille le fer, a gardé ses techniques traditionnelles. Elle reste maîtresse des grands secrets du "fer qui chante". Qui va transmettre cette forge traditionnelle en Afrique ?

Qui est le forgeron?
Où va La forge ?
Qu'en dit la société ?

Cette action n'est pas une entreprise archéologique. Elle se veut vivante, échange, enseignement... Elle doit se distancier d'une recherche timide sur le fer et les forgerons où ceux-ci sont appréhendés comme des vestiges, des traces d'un passé lointain, éteint. On ira à la recherche du feu, de la flamme emprisonnée dans ces métaux transformés.


Une recherche personnelle...comme un apprentissage... un parcours initiatique !

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